La Villa Alsace fut inscrite à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1992 en tant qu'exemple remarquable "d'architecture de défoulement". L'expression reste peu usitée ; elle recouvre, semble-t-il, une attitude de refus des conventions académiques ou historicistes issues du XIXe siècle. On peut cependant s'interroger sur la nature exacte de ce défoulement dans l'oeuvre de F. Grizet.
La transgression de ces règles passe souvent en ce début de siècle par l'éclectisme, mais il ne semble pas que cela ait été ici le choix de F. Grizet dans une oeuvre généralement attachée à l'Art nouveau en raison de la présence abondante de motifs tournesols en façade.
L'Art nouveau, que Le Corbusier qualifia lui même de "geste magnifique" où l'on "secoue les nippes d'une vieille culture", représente effectivement une réaction radicale à l'architecture dominante. Victor Horta à Bruxelles, Antonio Gaudi à Barcelone ou Hector Guimard à Paris, qui en sont les chefs de file européens, refusent les codes établis, ceux du vocabulaire architectural classique. Ils les remplacent par des formes courbes inspirées du monde végétal ou du corps féminin. Mais, plus fondamentalement, ils renoncent aux codes de composition établis depuis des siècles. A Barcelone, Gaudi invente l'idée d'enveloppe ; elle se substitue à la traditionnelle dichotomie entre les toitures et façades, qui désormais ne font plus qu'un.
A Bruxelles, en façade du magasin Anspach, Horta donne l'illusion d'inverser les règles de la pesanteur. La façade opaque repose sur le vide d'un rez-de-chaussée entièrement vitré. Contrairement aux codes établis, plus la façade s'élève, plus elle semble s'alourdir. Le concept de "défoulement" prend chez ces architectes tout son sens.
A La Rochelle, Grizet ne réalise pas une oeuvre Art nouveau. L'abondance du motif décoratif du tounesol en façade ne suffit pas pour ranger cette maison dans le corpus des maisons avant-garde. La transgression ou le défoulement, s'ils existent, n'en demeurent pas moins emprunts d'une grande retenue. Le client, un armateur nommé Fedel, ne pouvait pas plus que les voisins ou les passants être choqué par cette architecture. Il y retrouve tout un vocabulaire et des modes de conception, certes détournés, comme la rupture de la saillie de rive de la tour sous poivrière, mais qui appartiennent à l'évidence à sa culture architecturale et qui rendent cette oeuvre éclectique et pittoresque tout à fait convenable et acceptable en 1914.
Extrait de : Gilles RAGOT. Architecture du XXe siècle en Poitou-Charentes. Editions Patrimoines et Médias, 2000, page 31.